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Ben quoi ?!..

Lundi 30 mars 2009 à 19:21

« La seule qui se sentit à son aise était Baptiste, la none de la maison : elle disséquait les chapons avec un acharnement minutieux, fibre après fibre, à l’aide de certains petits couteaux pointus qu’elle était seule à posséder ; de véritables bistouris. Le Baron qui, pourtant, aurait dû nous la citer en exemple, ne se risquait pas à la regarder : avec ses yeux hallucinés, sous les ailes de sa cornette amidonnée, ses dents serrées dans une face jaune de rongeur –elle lui faisait peur, oui, même à lui… »

 

« C’est en matière de cuisine que sa rancœur se donnait surtout libre cours. Elle ne manquait ni de soin, ni d’esprit d’invention, qui sont les premières qualités d’une cuisinière. Mais on ne savait jamais quelles surprises pouvaient bien nous attendre à table dès qu’elle décidait de mettre la main à la pâte. Elle nous prépara une fois des croquettes au foie de rat, très friandes, à vrai dire, et ne nous en dévoila la nature qu’après que nous les eûmes mangées et trouvées bonnes. Pour ne pas parler des pattes de sauterelles –celles de derrière, bien dures et en dents de scie- dont elle avait fait une mosaïque sur une tarte. Ni des queues de porc rôties enroulées en forme de gimblettes. Un jour elle nous fit cuire un porc-épic entier, avec tous ses piquants, Dieu sait pourquoi, pour la seule satisfaction sans doute de nous faire sursauter au moment où nous soulèverions le couvercle du plat : elle-même, qui mangeait pourtant tous les mets extraordinaires qu’elle nous préparerait, n’y voulut pas goûter. En fait, une grande partie de son horrifiante cuisine visait à frapper les autres, plutôt qu’à leur faire savourer avec elle des aliments d’un goût effroyable. Les plats préparés par Batiste étaient de la très fine orfèvrerie animale ou végétale : des têtes de choux-fleurs ornées d’oreilles de lièvres étaient posées sur une collerette tailles dans la peau du même anima. D’une tête de porc sortait, comme si le porc eût tiré la langue, une langoustine bien rouge, et les pinces de la langoustine présentaient à leur tour la langue de porc comme si elle la lui eussent arrachée. Il y avait aussi les escargots. Batiste était parvenue à décapiter je ne sais combien d’escargots, et elle avait piqué ces têtes molles de petits caveaux, avec un cure-dents, je pense, sur autant de beignets : quand on les servit à tables, on crut voir une troupe de cygnes minuscules. Ce qui impressionnait plus encore que la vue de semblables friandises, c’était de penser au zèle, à l’acharnement avec lesquels Baptiste les avait préparées, d’imaginer ses mains fluettes aux prises avec ces menus corps d’animaux. »

 

«  Mais notre enragée de sœur parcourait, de nuit, toute la maison pour chasser le rat, un chandelier à la main, un fusil sous le bras. Cette nuit-là, elle traversa la cave et la lumière de sa chandelle vint donner sur un escargot qui s’était égaillé au plafond, avec son sillage de bave argentée. Un coup de fusil retentit. Nous sursautâmes tous dans nos lits, puis remîmes sans attendre notre tête sur l’oreilles, habituées que nous étions aux chasses nocturnes de notre religieuse domestique. Mais après avoir anéanti l’escargot et fait tomber un morceau de crépi, Baptiste se mit à crier de sa voix stridente :… »


Trois extraits du "Baron perché", d'Italo Calvino



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